INTERVIEW AVEC JOHAN SUR LES ÉLECTIONS AUX PHILIPPINES

INTERVIEW AVEC JOHAN SUR LES ÉLECTIONS AUX PHILIPPINES



Johan est membre du groupe Intal Bruxelles Philippines et est lui-même belgo-philippin. Il a suivi les dernières élections d’un œil attentif et nous lui avons demandé son avis sur les résultats.

Rodrigo Duterte a gagné les élections présidentielles aux Philippines. Il est considéré comme un personnage controversé. Comment vois-tu le résultat de ces élections pour la population philippine ?
Duterte a été pendant plus de 20 ans maire de la ville de Davao City, une des plus grandes villes des Philippines et s’y est fait connaître par une politique de ‘main de fer’. Ainsi, il lui a été possible, d’une façon plus ou moins douteuse, de garder le pouvoir dans la ville pendant longtemps. Après son troisième et dernier mandat, sa fille Sara Duterte est devenue maire pour un mandat, après quoi il est redevenu maire. Ainsi, le pouvoir dans la ville est resté dans la famille.  
Ce qui est remarquable, c’est qu’il dispose de sa propre milice privée, qu’il utilise, tout simplement, pour assassiner les criminels. Il y a de fortes chances qu’il agrandisse encore son ‘death squad’, comme est appelée sa milice, et qu’elle fasse encore plus de victimes. C’est d’ailleurs ce qu’il a promis dans sa campagne. Ce ‘death squad’ vise, avant tout, les petits criminels et se concentre essentiellement sur la problématique de la drogue. L’exécution de criminels sans aucune forme de procès est bien sûr contraire aux droits de l’homme.
Quand on se penche sur l’aspect économique et comment celui-ci va impacter la population, il est difficile de prévoir l’avenir. Dans sa campagne, Duterte est toujours resté très vague, il s’est limité à dire qu’il fera fonctionner l’économie au profit du peuple. Ces mots très vagues laissent la voie ouverte à toutes les possibilités. Ce qu’on peut dire c’est qu’il ne vient pas de l’élite économique des ‘super riches’ philippins mais Duterte avait beaucoup de pouvoir dans la ville de Davao City et il ne vit certainement pas dans la pauvreté.
Son cabinet est composé d’un mélange de personnes qui siégeaient au cabinet pendant le mandat de Gloria Macapagal Arroyo et de militaires. Il a aussi tendu la main au parti de gauche et il donnerait, par exemple, un poste ministériel à José Maria Sison, le fondateur du Parti Communiste Philippin qui vit depuis 1987 en exil aux Pays-Bas. A part celui d’un prêtre de gauche qui était aussi son porte-parole, aucun autre nom de gauche n’a été avancé pour ce cabinet. Tout reste encore à définir et rien n’est définitif pour le moment.
Quelles pourraient être les conséquences pour les activistes et pour les organisations humanitaires travaillant sur place et avec la population?
Cela reste encore difficile à prévoir. Jusqu’ici les activistes ont été traités durement, cette politique a été justifiée, selon la politique générale, par le fait que beaucoup d’entres eux étaient liés à la branche armée du Parti Communiste, appelée la New People’s Army (NPA).  Il faut voir si Duterte continuera cette politique.
Mais ici encore, il y a deux possibilités. Duterte s’est opposé à la répression des Lumads dans sa région. Les Lumads étaient réprimés durement et ils se sont réfugiés à Davao City. Duterte a aidé cette tribu en fournissant à sa population des denrées alimentaires. Que ce soit une action de communication ou non, la population a apprécié ce geste.
Comment les divers mouvements progressifs ont-ils survécu aux élections ?
20% des sièges au parlement sont réservés aux petits partis selon le système de « Party-List ». Avec ce système, le seuil électoral est de 2% des voix au niveau national, avec un maximum de 3 sièges par parti. Le GABRIELA Womens Party a obtenu un bon résultat en gagnant un siège ce qui lui permet de passer de 2 à 3 sièges. Ainsi, elles sont devenues le deuxième parti de la Party List. Bayan Muna, le parti des droits de l’homme, et Migrante, le parti des philippins résidant hors des Philippines, n’ont pas obtenu de siège cette fois.
Le système de « Party List » a été créé pour donner une voix aux ‘groupes marginalisés’ tels que les paysans, les femmes, les ouvriers et les peuples indigènes. Ceci est important puisqu’il est question de la majorité de la population. Le système est défaillant parce qu’il y a un très grand nombre de partis différents qui ont été créés (115 pour être précis) de tendances différentes. Ainsi, des généraux pensionnés ont créés leur propre parti. Ceci a créé une stratégie de ‘diviser pour régner’ car plusieurs partis ont été initiés par la bourgeoisie. Ceci a rendu le système du Party List très chaotique.
Neri Colmenares, président de l’association des Avocats NUPL (qui a gagné le Human rights Award en 2013) n’a pas pu obtenir un siège au Sénat malgré qu’il ait eu plus de 6 millions de voix… alors que le célèbre boxeur Manny Paquiao y a été élu. Enfin, l’union de différents groupes progressifs a obtenu, en regard de la totalité, un bon résultat et a gagné un siège au parlement. Mais, il faut le dire, ceci est très peu.

Ferdinand ‘Bonbong’ Marcos Junior (fils du controversé dictateur Ferdinand Marcos) a perdu de justesse la lutte pour la vice-présidence. Comment peut-on expliquer la popularité de figures telles que Marcos et Duterte ?

Il est toujours possible que Marcos devienne vice-président, il reste encore à compter les voix de l’étranger, où Marcos a beaucoup de soutient. La population semble avoir oublié ce qui s’est passé pendant le mandat de son père. L’initiative de l’union de gauche qui appelait à ne pas voter pour lui n’a pas eu de succès.
Comme Duterte, Marcos Junior est populaire parce qu’il joue sur les peurs des Philippins. Un des thèmes centraux de sa campagne était la sécurité, ce qui est devenue très important pour les habitants.
Ainsi Duterte a par exemple avancé qu’il était pour le peuple et non contre lui. Il a promis de respecter et de subvenir aux besoins de base de toute la population. Pour le mouvement populaire, il s’agira de mettre la pression sur lui pour qu’il honore ses promesses. De plus, il semble que certains individus voient positivement un leader politique qui se veut autoritaire.
Il y a des doutes sur le déroulement de la campagne électorale, qui n’aurait pas été très correcte. Un certain nombre de voix auraient disparues… Ces doutes sont-ils justifiés?
Pour pouvoir voter, il faut être inscrit en tant qu’électeur. Cela constitue, pour beaucoup, une étape difficile à franchir pour diverses raisons. L’obligation de voter n’existe pas. De plus, la corruption est un fléau massif aux Philippines, surtout en période électorale, pendant laquelle des voix sont achetées. Les partis de gauche n’ont plus de budget pour faire de la propagande, ce qui les rend faibles et ce qui ouvre la voie aux partis et aux candidats plus riches. Il est donc difficile de voire ces élections comme étant démocratiques. 
Traduction: Luc Denorme.