
Communiqué de presse - 14 avril 2014
Ce 16 avril 2014, le Parlement européen est amené à voter un règlement sur la surveillance maritime par l’agence européenne de coopération pour les frontières extérieures (Frontex). Mais il n’y a pas de quoi se réjouir, car « surveiller » n’est pas « veiller sur ». L’agence Frontex n’est en effet pas mandatée pour sauver des vies mais pour intercepter des migrants.
Ne nous leurrons pas. S’il présente certaines avancées, ce règlement ne mettra pas fin aux naufrages et aux violations des droits humains. Car « surveiller » et « protéger » ne se reposent pas sur les mêmes bases : les interceptions de Frontex visent à stopper les migrants et potentiellement à les renvoyer dans leur pays de provenance, mais pas à améliorer leur sort. Et cela en dépit des obligations internationales qui pèsent sur les Etats membres de l’UE en matière de protection des réfugiés et de droits fondamentaux.
Ainsi, le Parlement a introduit dans le règlement une définition du « non-refoulement » - principe fondamental du droit des réfugiés - selon laquelle il est interdit de renvoyer un migrant dans un pays où il court le risque de subir la peine de mort, la torture, des persécutions, ou autres traitements inhumains et dégradants ainsi que des menaces sur sa vie et sa liberté. Mais pour évaluer ce risque, Frontex s’appuiera uniquement sur des sources gouvernementales et européennes et consignera ses conclusions dans des documents non publics, donc difficilement contestables. L’Agence devra également tenir compte de l’existence d’accords, de projets entre l’UE, ses Etats membres et les pays extérieurs à l’UE pour faire cette évaluation. Or, l’objectif de l’UE est, depuis de nombreuses années, de faire de la « coopération » avec les pays tiers une justification pour externaliser la gestion des migrants afin qu’ils n’atteignent pas les territoires européens. Cette « coopération » n’empêche pas les violations des droits des migrants par ces Etats. Ainsi, la Libye, le Maroc, la Turquie ou l’Ukraine deviennent aveuglement des pays « sûrs » vers lesquels les migrants peuvent être renvoyés.
De plus, le règlement prévoit que si les personnes sont interpellées en haute mer ou dans la zone contiguë d’un Etat membre, Frontex pourra les renvoyer - accord avec l'UE ou non - vers le pays d’où elles sont parties et ce, avec de très faibles garanties et au mépris de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui consacre le droit au recours effectif (1). En filigrane se profilent de nombreuses questions quant au pouvoir des Etats membres d’opérer dans les eaux territoriales de leurs voisins, voire sur leur territoire directement, tout en respectant des « normes au moins équivalentes à celle des lois européennes » comme le suggère le règlement. Comment s’assurera-t-on que les Etats respectent ces normes en matière de protection et de non-refoulement ? Quelle juridiction sera compétente pour apprécier qu'elles le sont ?
Le développement des relations avec les pays tiers est toujours présenté comme la solution à tous les problèmes de l’immigration dite « clandestine » vers l’Europe, et il est demandé à Frontex d’en devenir un des acteurs centraux. Une façon de laisser l'Agence mettre en œuvre, sous couvert d’une « coopération technique » aseptisée et qui échappe au contrôle du Parlement européen, une politique répressive sans précédent.
Dans ce contexte, le sauvetage n'est qu'une anecdote. Le règlement prévoit une procédure obligeant l’agence à prévenir les autorités de sauvetage compétentes. C’est un minimum, déjà prévu par le droit maritime international. Le règlement n’ajoute rien à ce qui est déjà en vigueur.
Le seul moyen de faire cesser l'hécatombe à nos frontières serait de changer radicalement le paradigme actuel et d’organiser enfin l’accueil des personnes en demande de migration ou de protection.
Ce texte ne transformera pas Frontex - dont la mission principale est le contrôle et la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne - en agence de sauvetage. Pire : il porte le risque de refoulements en mer et de nouveaux naufrages. Comment, dans ce contexte, continuer à croire et à investir dans Frontex ?
(1) Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, la notion de « recours effectif » au sens de l’article 13 combiné avec l’article 3 (protection contre les traitements inhumains ou dégradants) requiert, d’une part, « un examen indépendant et rigoureux » de tout grief soulevé par une personne se trouvant dans une telle situation, aux termes duquel « il existe des motifs sérieux de croire à l’existence d’un risque réel de traitements contraires à l’article 3 » et, d’autre part, « la possibilité de faire surseoir à l’exécution de la mesure litigieuse » (Cour EDH 23 février 2012 HIRSI JAMAA ET AUTRES c. Italie en Grande Chambre, § 198).


Press release - 14 april 2014
On the 16th of April, the European Parliament will vote on the proposal for a Regulation on the maritime surveillance by the European agency for the coordination of the cooperation at the external borders (Frontex). There is no reason to celebrate: Frontex’ mandate is to intercept migrants, not to save lives.
Let us be clear. Although it contains certain enhancements, the regulation will not end shipwrecks and human rights violations. For “surveillance” and “protection” do not rest on the same bases: interceptions by Frontex aim at stopping migrants and potentially to send them back to their country of origin, but not to better their situation. This, in spite of international obligations of the EU Member States regarding protection of refugees and human rights.
The Parliament has introduced in the regulation a definition of non-refoulement – basic principle of Refugee Law according to which it is forbidden to send a person to a country where s/he risks facing death penalty, torture, persecutions or inhumane or degrading treatments or threats to her/his life of liberty. But to assess this risk, Frontex will only use governmental and European sources and will not publish its conclusions, which therefore will not be submitted to debate. The Agency will also have to take into account the existence of agreements and projects between the EU, its Members States and third countries in order to make such assessments. But the aim of the EU, for many years, is to “cooperate” with third countries to externalize migration control and prevent migrants from reaching Europe. This “cooperation” does not prevent human rights violations by these third countries. Libya, Morocco, Turkey or Ukraine for example are blindly seen as safe countries where migrants can be sent.
Furthermore, the regulation foresees the possibility to send persons intercepted at high sea or in the contiguous zone of a Member State’s territorial waters back to the country from which they departed, regardless of whether there is an agreement between the EU and this country. This with low guarantees and with no regard for the European Court for Human Rights jurisprudence which consecrates the right to an effective remedy (1) This also raises many questions regarding the capacity of States to operate in their neighbours’ territorial waters or territories while respecting standards at least as high as European ones as the regulation suggests. How will one guarantee that States will respect these standards in matter of protection and non-refoulement? Which jurisdiction will be competent to appreciate this ?
The development of relationships with third-countries is always seen as the solution to all problems of so-called clandestine immigration and Frontex is asked to play a key role in this respect. This is a way of letting the Agency implement an unprecedented and repressive policy which, while pretending to be only technical, escapes any scrutiny by the European Parliament.
In this context, saving lives is just a detail. The regulation foresees a binding procedure for the Agency to inform the competent rescue authorities: this is a minimum already foreseen by existing international maritime law. The regulation therefore does not add anything to existing rules.
The only way to stop the slaughter at our borders would be to radically change the current paradigm and at last to organise ways of hosting persons in search of migration or protection.
This text will not transform Frontex – the mission of which is to control EU’s external borders – into a rescue agency. Worse: it bears the risk for push backs at seas and for further shipwrecks. How can one, in this context, continue to believe and invest in Frontex?
(1) According to the European Court for Human Rights, the notion of “effective remedy” within the meaning of Article 13 taken in conjunction with Article 3 requires, firstly, “independent and rigorous scrutiny” of any complaint made by a person in such a situation, where “there exist substantial grounds for fearing a real risk of treatment contrary to Article 3” and, secondly, “the possibility of suspending the implementation of the measure impugned”.





