http://vibrations0migratoires.wordpress.com/2013/10/21/des-rivages-de-lampedusa-aux-rues-de-calais/
Ils avaient surv?cu ? la dangereuse travers?e de la M?diterran?e, ils ?taient parvenus sur les rivages calaisiens. Certains avaient choisi d?arr?ter l? leur voyage, d?autres tentaient d?atteindre l?Angleterre. La plupart d?entre eux, hommes, femmes et enfants, s?entassaient dans une maison abandonn?e Rue neuve, au centre-ville.
Ils viennent d?en ?tre expuls?s. Les services de la ville s?appr?tent ? murer le b?timent, une partie des effets personnels sont encore ? l?int?rieur. Des solutions de relogement ont peut-?tre ?t? propos?es aux demandeurs d?asile, mais par le truchement d?un interpr?te en langue arabe, langue tr?s minoritaire en ?rythr?e et plus encore en ?thiopie dont ils et elles sont originaires.
Les expulsions se succ?dent depuis un mois et demi, au gr?s de la campagne ?lectorale pour les municipales et d?une visite sans cesse annonc?e et sans cesse repouss?e du ministre de l?int?rieur ? Calais. Les exil?s font encore une fois les frais du show ?lectoral ? la fran?aise.
Ci-dessous un beau texte de l??crivain Nathalie M?Dela Mounier, qui a circul? sur le net ces temps-ci, et qui en dit plus que de longues descriptions.
Ils mourront aussi noy?s dans les larmes de crocodiles
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Malte, Lampedusa, je ne veux pas voir ces photos-l?? Un texte de Nathalie M?Dela-Mounier, ?crivain breton, antillais, africain, extrait de Rivage atlantique.
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Il y a eu, il reste encore, l?oc?an cannibale et ses ?les volcaniques, mirages des vivants.
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Je suis devant?; debout sur une rive ? deviner ceux qui n?arrivent plus. La route atlantique h?riss?e de barbel?s virtuels s?est faite cul-de-sac mais les hommes n?ont pas renonc? ? partir?; ils ont juste chang? de mer ? traverser, modifi? l?itin?raire de leur improbable voyage, ?chang? un enfer contre un autre.
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Malte, Lampedusa, je ne veux pas voir ces photos-l?. Pas d?images, pas de sons. Ni voir ni entendre?; je sais d?j? et j?en fais quoi?? ?Pas ces cadavres anonymes dans les linceuls blancs improvis?s, pas ces morts emball?s dans des housses mortuaires noires, pr?ts pour l?autopsie d?un chaos, pas ces rescap?s malvenus grelottant dans les couvertures de survie dont l?or m?tallique, cannibalis? par les projecteurs, rappelle que le soleil ne brille pas pour tout le monde.
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A la seule lecture des articles qui tombent en chute libre, cette lointaine horreur s?est faite mienne. L?impression qu?au lieu d?alerter, de d?noncer, de mettre en garde, de r?veiller les consciences assoupies, de documenter le tumulte depuis tant d?ann?es, j?ai particip? du d?sastre.
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Mes enfants de papier qui devaient ?tre d?immortels veilleurs tourment?s, des appels ? mieux vivre, ont ralli? le bord de ce monde?; page apr?s plage, ils regardent ? travers le prisme du r?el leurs fr?res de chair se noyer avec eux sans jamais remonter ? la surface. D?cid?ment, ?crire ne suffit pas?! Juste un n?cessaire, rempart sans cesse reconstruit, dress? contre l?indiff?rence, l?oubli et le m?pris.
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A quoi me sert-il de la connaitre intimement, Elle, cette jeune africaine, grosse de mille horreurs banales et d?un enfant?? Elle qui pariait sur des jours moins pires ? d?faut d??tre vraiment meilleurs?? A quoi? sert-il que j?aie mis, comme elle dit, ??ses mots dans ma bouche???? A quoi bon le jeu de ces com?diens endossant son r?le ainsi que celui de ses fr?res supplici?s afin qu?ils renaissent ? chaque repr?sentation, survivent ? l?oubli, veilleurs ?veill?s gesticulant contre l?assoupissement?? Elle est encore l?, m?me si elle est une autre?; Elle est la prochaine qu?on ensevelira dans un linceul de mots compatissants, 4500 signes pour archiver le d?sastre?; Elle est celle qui, maintenant, met ? mort au lieu de mettre au monde au fond d?une barque folle dont personne n?entendra jamais parler?; Elle est l?inconnue, l?inaudible, l?invisible qui ne manquera pas ? un appel jamais fait.
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Oui, la question migratoire est cruciale, plus que jamais peut-?tre car les boucs ?missaires sont de plus en plus lourdement charg?s et la mondialisation de l?ignominie encore plus forte que celle de ??l?indiff?rence??. ?
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En temps de guerres comme en temps de paix, qu?entend-t-on de la souffrance muette des ??boucs en partance?? devenus boucs en errance puisqu?ils n?arrivent pas, ou si peu, ou si mal car si mal accueillis ? centre de r?tention administrative, fichage, arrachage d?empreintes, d?ni de minorit?, refus d?asile, files d?attente interminables devant des pr?fectures dont le service ?tranger se sp?cialise dans le non accueil ??; qu?entend-t-on de leur d?sespoir discret quand seule la mort les rend visibles, un temps tr?s court, dans quelques br?ves?? Parfois en partance d?s avant naitre ou ? l?aube de leur existence, leur odyss?e n?a en fait ni d?but ni fin. Les migrants de tout poil, ces voyageurs de tous sexes avan?ant en tous sens sont devenus des fardeaux que l?Occident voudrait cantonner derri?re ses lisi?res comme on tentait de maintenir les loups et les ogres au plus profond des noires for?ts m?di?vales.
Malheur ? celui qui pointe son nez ? l?or?e de notre monde faussement ouvert.
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Le bord du pr?cipice est l?, charni?re entre un espace terrestre, sables et cailloux caress?s d??pines, et un espace maritime tellement surveill? que des p?cheurs refusent de pr?ter secours aux malheureux qui sombrent?: ils risqueraient d??tre accus?s d?aider des clandestins et tomberaient ainsi sous le coup de la loi inique et carnassi?re?; un espace tellement surveill? qu?on sait que ce no children?s, no woman?s, no man?s land est devenu le plus grand cimeti?re marin. Les sir?nes ont chang? depuis les temps hom?riques, celles qui entonnent leurs lugubres m?lop?es ont la peau sombre et des cheveux cr?pus, tress?s-coll?s sur le cr?ne, algues brunes qu?elles s?arrachent par poign?es. Leurs reflets gris nagent pour l??ternit? entre deux eaux n?effrayant que les plongeurs sous-marins car, ? la surface, nous ne voyons pas plus les vivants que les morts.
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Un drame un peu plus visible que les pr?c?dents et on annonce une ??journ?e de pleurs???; une journ?e et des larmes contre plus de vingt mille absents, certainement bien plus. Et combien pour tous ceux ? manquer qui sont d?j? en marche?? Pour les autres naufrages annonc?s?? Combien de larmes taries avant d?avoir jailli??? D?j? vers?es pour solde de tout m?compte?!
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Oui, j?entends parler de corridors humanitaires, de r?gles s?curitaires, de Frontex, de surveillance aux fronti?res, de pr?sence militaire et j?imagine les crocodiles qui hantent ces eaux-l? en embuscade, vaguement ensommeill?s ou veillant pr?ts ? punir, ? surgir, ? refermer le pi?ge de leurs m?choires sur la chair tendre des songes, ? ramener le r?veur imprudent sur sa rive, mort ou vif.
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Oui, on nous dit les insurrections, les conflits, la faim, le r?ve ? port?e d?antenne parabolique, mais pourquoi ne parle-t-on pas davantage de l?ordre in?quitable du monde qui broie les humains et les met sur les routes du n?ant seuls ou en hordes d?termin?es et silencieuses??
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Ces images que je ne veux pas regarder existent et d?filent sur les ?crans, tournent en boucle, m?me, avant de s?effacer devant celles d?un autre drame qui ne manquera pas d?arriver. Les sons du sinistre se bousculent ? la radio, marche fun?bre pour une humanit? moribonde. S?indigner, pleurer puis oublier?; passer ? autre chose. Notre facult? d?occulter ou de nous accommoder m?est insupportable et je demeure en rage au milieu de mes fr?res et s?urs rescap?s et inconsol?s. Nous ne pouvons ignorer que s?ils ne sont pas morts une premi?re fois, ils p?riront par l?oubli ou noy?s dans les larmes des crocodiles, comme leurs semblables infortun?s.
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Nathalie M?Dela-Mounier
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