Publié le 17 juillet 2011 sur le site rennespalestine.fr
Madame, Monsieur,
J’ai écrit, voici treize ans, une synthèse des travaux des historiens israéliens concernant la guerre judéo-palestinienne, puis israélo-arabe de 1947-1949. Réédité à plusieurs reprises, ce livre reste disponible aux éditions de l’Atelier sous le titre Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949, avec une préface de Yehuda Lancry, ancien ambassadeur de l’Etat d’Israël en France.
Je doute qu’il ait pu vous échapper, puisqu’il a été très largement diffusé, que je lui ai consacré plusieurs dizaines de conférences en France et à l’étranger et qu’il a fait l’objet de multiples recensions dans les médias français et internationaux.
Vous comprendrez, dans ces conditions, combien les informations diffusées concernant la nouvelle édition de votre manuel de première S m’ont choqué.
J’entends bien que vous êtes l’objet de pressions de la part de sites d’extrême droite, dont la campagne est, hélas, relayée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), lequel a accepté de s’en faire le relais – je vous renvoie sur ce dernier point à la double page publiée par Le Monde diplomatique dans son numéro de juillet.
Mais depuis quand les manuels scolaires sont-ils écrits sous la dictée de groupes d’influence? Imaginez l’histoire du génocide arménien racontée par l’extrême droite turque. Ou la guerre civile algérienne revisitée par des groupes salafistes. Ou celle des massacres perpétrés durant les guerres de Yougoslavie narrée par les nostalgiques des nomenklaturas serbe, croate ou bosniaque. Ou la Shoah vu par ceux du nazisme?
Toute proportion gardée, s’agissant d’une expulsion et non d’un génocide, votre nouvelle version du partage avorté de la Palestine relève du même phénomène: le négationnisme.
Il vous aurait pourtant suffi de vous informer des travaux des historiens israéliens pour vérifier que l’immense majorité d’entre eux confirment, pour l’essentiel, la vison développée depuis des décennies par les historiens palestiniens et arabes. Et sur trois points en particulier:
- loin d’être un frêle David menacé par le puissant Goliath arabe, les forces juives, puis israéliennes bénéficiaient d’emblée d’un rapport de forces militaire et plus encore stratégique favorable, qui est allé croissant tout au long de la guerre;
- quelque 800 000 Palestiniens ont dû prendre le chemin de l’exode. Globalement, il s’est agi d’une expulsion, souvent manu militari, jalonnée de nombreux massacres. Seule la question de l’intentionnalité de cette expulsion – et non la réalité de celle-ci – fait encore débat parmi les historiens israéliens;
- à l’issue de ce premier conflit, Israël, en signant à Lausanne le protocole du 12 mai 1949 avec ses voisins arabes, a certes reconnu – comme eux – les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies, notamment la résolution 181 du 29 novembre 1947 partageant la Palestine en deux Etats ainsi qu’une zone internationale pour Jérusalem et la résolution 194 du 11 décembre 1948 affirmant le droit au retour (ou à compensation) des réfugiés. Mais il remplissait, ce faisant, les conditions de son admission au sein de l’ONU. Il n’a appliqué, ensuite, ni l’une ni l’autre de ces résolutions.
Quel est, en effet, le bilan des événements de 1947-1949 ? Seul l’Etat juif prévu par le plan de partage a vu le jour, avec un territoire augmenté d’un tiers. Israël, la Transjordanie et l’Egypte se sont réparti les dépouilles de l’Etat arabe, mort-né. Et les quatre cinquièmes des Arabes de Palestine sont devenus des réfugiés. Voilà qui a entraîné les deux peuples, et avec eux tous ceux du Proche et Moyen-Orient, dans six décennies de guerres, de terrorisme de et de mal-développement. Ne s’agit-il pas là d’une catastrophe (Nakba, en arabe) ?
Voilà ce que, grosso modo, vous pourriez écrire si vous vous souciez de la vérité historique. Mais telle n’est, semble-t-il, pas votre principale préoccupation. Croyez bien que je le regrette, tout en souhaitant que le ministère de l’Education nationale, responsable en dernier ressort de la formation des jeunes Français, vous rappelle à l’ordre (républicain).
L’histoire, Madame, Monsieur, doit être écrite par des historiens, non par des idéologues.
Bien à vous,
Dominique Vidal.
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